Monsieur Orange vient de publier Tutti Frutti, recueil d’anciens titres remis au goût du jour. L’occasion de redécouvrir ces petites fables surréalistes, et de raconter la saga du poète « Dali, Dada, Dalida ». Et c’est en couleurs !
1997. Les Weedy Fellows, le groupe de Bresse-Revermont qui faillit devenir les Pixies à la place de Sonic Youth, viennent de rendre les clés du garage après une dizaine d’années au service du rock indé. Philou Bertrand, le clavier/auteur/chanteur, poursuit l’aventure en solo sous avatar Monsieur Orange. Drôle de nom, non ? « J’ai un amour absolu de la couleur, confie l’intéressé. Monsieur Orange, ça vient du film de Tarentino, Réservoir Dogs (1992). C’était dans l’air du temps ce côté Monsieur, Madame ».
Bidouilleur fantasque et poète de la lune
Monsieur Orange donc, s’en va frapper à la porte du Théâtre qui s’ouvre en grand. « Le directeur Dominique Ferrier, m’a dit : «OK.Tu fais la première partie de Dominique A dans quinze jours !» Panique. « Je me suis enfermé pendant deux semaines à composer. Pour faire au plus vite et au plus simple, j’ai choisi de m’accompagner au Bontempi ».
Le clavier-jouet devient sa signature. L’orange, le fil rouge d’une chanson pop pimpante, colorée et acidulée. Dès le premier album, Glurp (2000) et sa pochette patchwork (forcément), Monsieur Orange trouve son style : bidouilleur fantasque et poète de la lune, quelque part entre Plastic Bertrand, Charles Trenet le fou chantant, et Charly Oleg de Tournez manège. « Un tiers Dali, un tiers Dada, un tiers Dalida » selon sa formule. Et un tiers « dirladada » ? On n’est plus à ça près !
Hauts, bas et grands blancs
Suivront trois autres albums – Papillon (2002), Bamboula Apache (2005), Siamois Caoutchouc (2012) – un groupe éphémère (Monsieur Orange Extensible Expérience en 2007), de multiples projets aboutis ou pas, des hauts, des bas et « de grands blancs ». Fâcheux pour un amoureux de la couleur.
La faute à qui ? Pas assez politique pour dénigrer le système, trop élégant pour accuser le public qui n’aurait rien compris, Monsieur Orange ne s’en prend qu’à lui-même pour refaire le match. « J’étais naïf. J’imaginais que l’art en soi portait une espèce d’énergie propre à lui donner du mouvement. La communication me passait au-dessus de la tête. On dit que pour y arriver, il faut mettre deux sur la com’ quand tu mets un sur la prod’. Moi, je ne mettais même pas un sur la com’ !» Il se montre tout aussi sévère avec la rock’n’roll attitude. « En musique, on se prend les pieds dans le tapis. En théâtre, dès qu’une compagnie se crée, elle désigne un administrateur. Nous, on reste sur l’image des potes dans le canapé à fumer des joints !»
Malgré des années entre-deux, entre galères et euphorie, entre Education nationale alimentaire et intermittence du spectacle dans tous les sens du terme, Monsieur Orange n’a jamais rien lâché. « Ça a toujours tenu. La musique a toujours suivi. C’est plus simple à porter quand tout va bien dans ta vie ».
Et il va bien le vieux Philou. La semaine dernière à la Tannerie de Bourg, on l’a vu régaler un public chaud debout, gracieux, classieux, affûté comme pas deux dans son costard… orange. L’objet du concert était de présenter « officiellement » (un mot qu’il ignore), son dernier album, Tutti Frutti. Tutti frutti comme la salade de fruits jolie, jolie, une corbeille de onze anciens titres remis au goût du jour.
Dirladada et auto-tune
Que les fans du poète dirladada se rassurent. Il n’a pas changé un poil de texte. En revanche, Monsieur Orange a retravaillé le son à l’aune des technologies 2022. Exit le Bontempi réduit à la portion congrue. Place aux belles orchestrations, même s’il a tout fait tout seul, aux synthés fabuleux et à la sub-bass. Jusqu’à l’auto-tune, ce cache-misère que l’on pensait réservé aux rappeurs qui font « ouhaouwaou… » avec un timbre métallique. « Détrompe-toi ! L’auto-tune, c’est génial quand l’effet vocal est mis au service de l’idée créatrice. Aujourd’hui, très rares sont les productions qui ne l’utilisent pas. A part pour les gens qui chantent juste, et qui sont encore plus rares !»
Sur la pochette, flashy comme il se doit, Monsieur Orange paraît tel qu’il est : un monsieur de 54 ans avec lunettes et cheveux blancs. Manière d’assumer le temps qui passe, et de dire qu’il fait ici du neuf avec du vieux. Son complice Riquet 1er entoure le portrait de petites vignettes dans la veine des comics de Pierre La Police. Au recto, un paquet de bonbons acidulés portant la mention 1/3 Dali, 1/3 Dada, 1/3 Dalida. Le contenant s’avère aussi chiadé que le contenu et l’artiste tient à le faire savoir. Par le truchement de l’un de ses fils, Monsieur Orange s’est allié les services de jeunes experts d’une école de communication. Cette garantie de suivi et régularité qui lui a tant manqué par le passé.
Deuxième chance
La réussite de Tutti Frutti tient dans cet équilibre de funambule, entre ce nouvel habillage bien présent sans être clinquant, et des textes qui n’ont rien perdu de leur charme. On redécouvre ainsi ces petites fables surréalistes, cet imaginaire délirant où tournent et s’entrechoquent aphorismes et allitérations. Paparazzi sur mes paradoxes, Yoga Nicotine, L’œil du cyclone et autres mécaniques d’orfèvre.
« Ces chansons n’ont pas marché comme elles auraient dû. Oui, j’en ai éprouvé de la frustration, surtout à l’époque de Bamboula Apache sur lequel j’avais énormément investi. J’ai profité du confinement pour les reprendre là où je les avais laissées avec un goût de pas fini. Les faire entendre différemment au public, et peut-être, leur donner une deuxième chance ».
Monsieur Orange. Tutti Frutti. Label Decadix. http://monsieurorange.io
Il pleut des bombes…
Tube du premier album, Glurp, Il pleut des bombes, est une ode ironique à la neutralité, et « Vive la Suisse !» Aujourd’hui, elle devient d’une actualité tragique. Monsieur Orange s’imagine-t-il « manger une fondue au milieu du lac Léman » pendant qu’il pleut des bombes sur l’Ukraine ? « Ah non ! Aujourd’hui, j’aurais carrément envie de prendre les armes contre Poutine ! Malgré tout, je revendique cette possibilité d’être optimiste, quelle que soit la complexité du réel ».
On peut toujours le taxer de naïveté, lui-même l’assume. Mais de cynisme, jamais. « Je crois qu’il y a autant de raisons d’espérer que de désespérer. On a des armes absolues pour combattre cette complexité du présent. L’intelligence est capable de tout. Dans Tutti Frutti, il y a quelque chose de l’ordre du « ça va aller ». Je le pense vraiment ».