Olivier Leroy, Lee Roy, Baudoin… Olive tout simplement, vient de solder ses « vacances sur la terre ». Activiste rock, punk’n’drôle, journaliste sensationnel, foutraque et ingérable, d’une générosité folle et d’une immense pudeur, sa disparition laisse un vide considérable. Ses expressions, les témoignages, l’album-photos… On a tous quelque chose d’Olivier Leroy.
« Olivier Leroy : Lee Roy pour les Américains, Baudoin pour les Belges, Leroy pour les huissiers » … Et pour l’éternité, depuis qu’Olive vient de solder ses « vacances sur la terre », comme il nommait joliment sa tranche de vie. Bien trop mince la tranche : 61 ans seulement. C’est rageant, désespérément court et triste à mourir.
Le premier soir où j’ai rencontré Olive, on a failli se mettre sur la tronche. C’était au Transbordeur à un concert de la Mano, au tout début des années 90. Samy Madoui (musicien de Quartier Chaud à l’époque) nous avait présentés. « Olivier Leroy, journaliste à Lyon-Matin. Marc Dazy, journaliste au Progrès de Bourg ». « Ah oui, Marc Dazy ? Hmm…» avait répliqué Lee Roy peu amène. Le ton était rapidement monté dans une querelle d’ivrognes comme seul peut en provoquer le rock’n’roll. Motif ? J’avais dézingué un groupe qu’Olive soutenait, et quand Olive soutenait, fallait pas toucher !
Rascal & Torpédo
En 92, il a été muté au Progrès de Bourg. Là, on s’est retrouvé sur l’essentiel. A partager le boulot, les concerts et sorties improbables, on a monté une rubrique rock tous les deux. Signée Rascal & Torpédo, l’ancêtre de Rockenbloc, puis de Rockenblog. Pour la première fois, le quotidien offrait un libre espace aux musiques dites alternatives. A ma connaissance, un exemple unique dans la presse régionale du temps jadis. Autant dire qu’on y allait gaiement, au risque d’hérisser le poil du rédac’ chef… Après, Olive a lâché l’affaire pour me laisser seul aux manettes. Trop bouillon pour tenir une chronique hebdomadaire. Mais qu’importe. Comme souvent, il avait impulsé le mouvement.
Mr Hublot
Voir ces longues années d’activisme. Punk de la première heure, chanteur/parolier du groupe Mort Sûre… Fondateur de Mr Hublot, fanzine éphémère, puis association créée avec son pote JC (lui aussi prématurément décédé l’an dernier) avec le soutien de Fred Gangneux du Transbo. Mission : promouvoir une scène lyonnaise en pleine ébullition. Connaisseur hors pair du rock et de la chanson, fan total de Starshooter, de Kent, des Wampas, en passant par Daniel Guichard, Michel Sardou ou La Femme qui pète au lit rien de ce qui se chante ne lui était étranger.
Tout donner, rien demander
Et puis Têtes Raides bien sûr, sa plus belle aventure. C’est grâce à lui que ce groupe de « Parisiens têtes de chiens » (dixit Baudoin) a noué des liens indéfectibles avec Bourg-en-Bresse et que Grignette la violoncelliste en est devenue citoyenne. Pour eux, Olive se multipliait sans compter, à la fois intermédiaire, organisateur de concerts et de soirées de grand vent (te souviens-tu la Jeanne ?), vendeur de disques et de T-shirts, hébergeur à l’ambassade de Bresse de Lyon ou à Verjon, bénévole en tournées (d’artistes et d’apéros) ou merguezologue autoproclamé…
Toujours, Olivier Leroy donnait à fond et en toute discrétion, sans jamais rien demander en retour. Une générosité folle, une véritable ligne de conduite qu’il appliquait à tout ce qui chevillait le cœur de ce grand sensible : les amis, la fête, la brocante et la distillerie de Verjon, le cyclisme et Jalabert, le RC Lens, et les ch’tits…
Le rhizome du comique de répétition
Petit à petit, il s’est un peu éloigné des choses du rock. Trop entier, « Blâsé » (une autre de ces expressions) par les coups tordus du métier, on l’a moins vu traîner dans les salles. Mais il est toujours resté punk, à commencer au sein de la rédaction du Progrès.
Olive était parfaitement ingérable. Un électron libre en rotation permanente, un showman atomique, un pitre irrésistible, un bouffon au sens noble du terme : celui dont le grain de folie titille les puissants. Son arme fatale, c’était ce comique de répétition dont il usait et abusait. On pouvait rire pendant des heures, ou parfois s’agacer, de ces expressions et aphorismes qu’il répétait inlassablement. Lire le petit « flolivège » ci-après. Mais à force, ces véritables mots d’auteurs, tels des rhizomes, ont fini par imprégner les conversations et passer dans le langage courant.
Dénicheur de scandales
Au-delà de son influence lexicale, Olivier Leroy était un sacré journaliste. Un pur localier et un fait-diversier sensationnel. Pour Le Progrès et la télé, il fut le grand témoin des affaires judiciaires du département. Mais son domaine d’excellence, c’était le petit rien qui fout un gros bazar. Le secrétaire général de la préfecture utilise son gyrophare pour convenances personnelles, les arrangements de stationnement de la police municipale, un détournement de fonds dans une collectivité ? Mais où allait-il chercher ces « scandales !» comme il disait. Tel le ballon avec Messi, on aurait dit que le fait divers venait naturellement à Olive. Plus sérieusement, il allait le dénicher à l’ancienne, loin des réseaux sociaux, lors de nuits enfumées passées à « travailler » ses innombrables informateurs.
Jardin secret
L’homme de plume lègue aussi tout ce qu’il n’a jamais dit ni écrit, et c’est sans doute le plus important. Son côté punk’n’drôle masquait une immense pudeur et une sensibilité à fleur de peau. Olive ne parlait jamais de lui, ou alors par pirouettes, et encore moins de ses proches. Sa fille Alice dont il était si fier, Caro sa complice qui lui a tenu la main jusqu’au bout, sa famille… Il a toujours su préserver le secret de son jardin.
« Tûtûte !»
S’il nous restait un son dans l’oreille, ce serait le « tûtûte » de l’ascenseur qu’il actionnait à chacune de ses montées, et qui nous faisait dire « tiens, v’la Olive ». Et puis, « toc-toc », « Entrez !» Il passait la tête par la porte et lançait son rituel « Bonjour les amis, j’vous ai pas trop manqué ?!» Ben si justement, et ça ne fait que commencer.
Olive vu par…
Mario Molard. « Mon préparateur physique, celui qui a fait de moi un athlète !»
« A 14, 15 ans, il était président du club des jeunes de Ceyzériat. Je l’ai récupéré au club de lutte. Un grand athlète, je ne sais pas… Il a dû faire les championnats de l’Ain minimes. Je me souviens qu’il avait toujours un pantalon serré, avec une chaîne attachée par un cadenas en guise de ceinture ! En 81, pour l’élection de Mitterrand, on est allé à Bourg dans un cabriolet rouge. Lui, tenait un ballet de chiotte en guise de drapeau ! En arrivant, on a plié la voiture contre une Mercedes. Et mon Olive qui hurlait : « c’est pas grave, c’est la fête !» C’est lui qui a fait venir les Têtes Raides à la Cave des Chartreux de Ceyzériat au bénéfice de l’association musicale. Monique (NDR : l’épouse de Mario) avait fait du bœuf bourguignon pour vingt et on s’est retrouvé soixante !»
Philippe Couche. Ami de cinquante ans
» J’ai rencontré Olive pour la première fois au cours de la deuxième moitié des années 70. Dans le secteur de la Reyssouze, au pied de l’immeuble Le Panoramic. Beaucoup de jeunes gravitaient dans ce quartier, également dans celui des Baudières et du parc Saint Nicolas. Tout le monde se connaissait, l’ascenseur social fonctionnait parfaitement. Pouvaient se croiser aussi bien les filles de la compagnie de danse Burgos que des sportifs comme Fabrice Valentini, Philippe Prudent, des musiciens tel Philippe Cabaud, des futurs prof’ etc… Un melting pot parfait.
Avec Olive, on a choisi la musique. Le mouvement punk, qui venait de tout exploser, semblait avoir été inventé pour lui. Olive, c’était le sosie de Captain Sensible des Damned, une version cartoon du punk. On ne s’est jamais perdu de vue. Un contact chaque jour. Il aurait pu prolonger ses vacances sur terre un peu plus longtemps. Comme beaucoup, je le pleure. »
Philippe Sévy. Journaliste sportif et agent de sécurité au premier concert des Têtes Raides à Bourg
Fraîchement débarqué de Lyon, Olivier Leroy avait bien vite épaté la rédaction du Progrès à Bourg par sa capacité à mener simultanément une partie de tétris et une interview téléphonique, tout en empestant le bureau de ses infâmes clopes. Olive-Baudoin-pour-les-Belges avait aussi démontré rapidement ses compétences d’organisateur en mettant sur pied un improbable concert des Têtes Raides. Le groupe était en résidence au Théâtre ou de passage à Verjon, allez savoir. Olive avait dégotté une salle paroissiale (?) rue de la Paix. Puis réquisitionné tous ses collègues du Progrès pour tenir la caisse ou les buvettes.
En tant que journaliste au service des sports, j’avais été logiquement bombardé à la sécurité malgré un physique peu dissuasif… Sur un immense portique installé devant l’entrée, deux authentiques athlètes, sorte de Tarzan urbains à moitié nus et complètement chevelus, enchaînaient les figures aux anneaux tant qu’un automobiliste n’avait pas l’idée saugrenue de s’engager dans la rue. Ensuite, ce fut le premier triomphe des Têtes Raides à Bourg-en-Bresse, devant 150 personnes conquises. La soirée s’était finie par de la bière et des rires jusqu’à tard dans la nuit.
Grégoire Simon. Saxophoniste de Têtes Raides
« C’est avec beaucoup d’émotions, de tristesse que j’apprends le départ de mon ami Lee Roy pour les Américains, Baudoin pour les belges, mais aussi René Chasse d’eau (nom d’artiste pour une première partie à Florange), champion de France de géographie, premier, unique et éternel ambassadeur de Bresse à la chemise fripée, larfeuille poche arrière, « j’ai l’argent, je paye » .
Bon voyage ami d’enfance – tout est pardonné – céleste et dyonisiaque, fleuri de jasmin , jalonné de copains, de rock et de Cinquin. Tu as embrassé la vie chaque matin avec un appétit rabelaisien. Mes pensées les plus douces vont à cette communauté qui t’a aimé et accompagné : Alice, Caro, Lucrate, tante Fafa, Grignette, Mario ton préparateur physique, la Jeanne, Didier, Manu, Jocelyne, Titi du 10 rue Teraille… et toutes celles et ceux que tu as arrosé d’affection, toujours un peu caché derrière un cœur d’artichaut, toujours un peu secret. Olivier, Bresse for ever. Je viendrai te saluer mercredi soir avec mon baluchon et si la SNCF assure, je ne raterai pas la fermeture de 22h00 pour t’embrasser avec le cœur, et verser mes larmes et tous les rires que tu m’as donnés dans quelques verres que je partagerai volontiers avec toutes les copines et les copains ! Olivier… Coin coin ! »
Flolivèges
Ses expressions et aphorismes ont imprégné durablement la vie locale. Best ouf et alboum-photos.
- Reviens, tout est pardonné
- Bien joué l’araignée, well done the spider, bien jugado tarantula
- Encore un qu’est parti sans payer (après un pet sonore et/ou malodorant)
- Aujourd’hui, je suis de gauche. Variante : aujourd’hui, je suis de droite
- Encore une victoire de la CGT.
- Rendez l’argent, la coupe est pleine
- De qui se moque t-on ?
- J’ai l’argent, je paye
- Lui, il se torche pas le cul avec des cailloux
- Comme chez les riches
L’insulte. Dauberie, fumière, morvitude.
Les surnoms. Olivier Leroy avait un sobriquet pour chacun.e et impossible de s’en défaire. Au hasard : Fafa, la plus blonde des fatimas, Tas de bois, Calbute, Riton bite-en-béton, Chef chauve, Ch’valou, sans oublier Mon Marcounet…
- Parait qu’elle a un polichinelle dans le tiroir
- Faire des gamins, c’est bien beau, mais après, faut les payer les godasses
- Pas bien malin, mais pas méchant
- Alors les amis, pas de d’scandales ?
- On étouffe, on étouffe
Vinzou. Juron bressan attribué à la Jeanne (Jeanine Bernolin, la tenancière du bistrot de la rue Victor Basch) et détourné par Olive. Si bien qu’à la fin, on se demandait lequel/laquelle imitait l’autre ! Il l’a tant popularisé que le Vinzou est devenu pendant un temps, un dessin d’actualité d’Eric Martelat.
- J’aime beaucoup ce que vous faites. J’ai tous vos disques
- Il y a ceux qui se barrent quand le bateau coule et ceux qui restent cool quand le bateau se barre
- On est tous en vacances sur la terre
Vivement la guerre !
En souvenir des années punks, voici cette petite vidéo hallucinante et digne d’Apocalypse Now ! Elle est signée Jean-Chris Vauquières, complice de quarante ans et un sacré bout de chemin avec Olive.
Salut marc,
j’ai beaucoup rit et pleuré à ta lecture. Quel talent !
PS : j’ai bien aussi aimé ton papier sur les pierres qui brouttent, avec Olive on a toujours été des beatlessiens, jamais entendu les pierre qui croulent sur sa platine ! Je vous embrassent tous.
Merci Didier. Content si tu l’as retrouvé à travers mes lignes. Ce n’était pourtant pas le papier le plus facile à écrire (euphémisme)… J’ai différé le moment de m’y mettre au maximum. Une fois posés les doigt sur le clavier, ça a mieux été. Et tout ce que j’ai reçu de témoignages et photos m’a beaucoup aidé. Bien noté l’aurtograf du Leroï. Je corrige. Bises et à une prochaine, pas vendredi hélas. Je récupère Louis en Irlande à la fin de son job d’été.
C’est avec une grande tristesse et une grande émotion que je viens de lire ce billet qui lui rend vraiment hommage et me rappelle les fois où nous sommes croisés en Bresse et sa dernière visite en Provence, sur les gradins du Château de l’Emperi devant les Têtes Raides qui faisaient la balance.
Salut Marc
j’ai d’abord cru à une blague, qu’il aurait pu imaginer d’ailleurs : la fausse nécro.
Hélas non. Un bel hommage en tout cas pour un sacré personnage.
Salut Fred
Merci. Hélas non, c’est pas une fausse nécro mais un vrai « scandale », comme il disait!
Bonjour,
Merci pour ces mots touchants.
On n’oubliera jamais qui fut Lee Roye.
Condoléances à sa famille et ses proches.
Je dois ce pseudo à la vieille poche ; connu durant le Staff Fan club de Kent, puis l »aventure Mr Hublot dont je fus un des rédacteurs et pilier ; ce surnom, il m’est resté ; demandez, entre autres, aux vieux fans des Wampas et à à leurs musiciens, dw compris…
A demain l’ami….
30 ans sans se voir je devais monter un jour le voir à Verjon, « tristesse » ce sera demain à Viriat.
Bel hommage.
Qui réactive tant de souvenirs de « boutique »… Des beaux, des drôles, des laborieux, des orageux et des tendres.
Tant de pièces jointes et d’assignations rattrapées…
Signé : « La Vieille » (on a le surnom qu’on mérite !), parce que j’étais née trois semaines avant ce « bruti » !
Ah pui, « la vieille »… « Bruti » aussi, « bécile », « assez la Mongolie » et tant d’autres. Fred Sauron, qui ne l’a pourtant pas croisé longtemps, me disait qu’il appelait toujours Sophie Albanesi « Pétasse » quinze ans après ! Comme quoi l’apostrophe baudouinesque travers le temps et les frontières.
belle expression « ses vacances sur la terre »
nous ne sommes que de passage
Bonjour Marc
Il y a 24 ans (déjà) j’étais jeune étudiant en journaliste pas encore tout à fait formé et encore moins déformé. Je mettais les pieds pour 2 mois de stage d’été à la locale du Progrès de Bourg. Et l’ambiance que j’y trouvais aura confirmé mon envie d’embrasser la profession. Et cette ambiance, on la devait largement à Olivier. Je ne l’ai côtoyé que quelques semaines mais il a marqué l’apprenti que j’étais. J’ai aimé lire tes lignes le concernant. 24 ans plus tard, elles m’ont replongé dans ces bons moments partagés. Merci à toi et pour lui. Je pense aussi à Caroline qui a l’époque était SR et comme tant d’autres avait fait preuve de bienveillance et de camaraderie avec le jeune scribouillard que j’étais.
Bonne continuation
(pour la petite histoire nous avions couvert ensemble une grosse compétition de quad je crois du côté de Montrevel, et même partagé une chambre dans un hôtel hors d’âge sur la commune !)
Bonjour Benoît
Bien sûr que je me souviens ! « Encore un qu’on a formé ! » avait coutume de dire Olive dans l’une de ses innombrables expressions Leroyales. Et c’était vrai. Son tempérament de grenade dégoupillée, sa générosité, sa convivialité, son humour, cet art de s’immerger dans la vie locale, « embedded » pour les Américains. Ce véritable journaliste gonzo à la mode de Bresse a donné envie à des dizaines (centaines ?) de stagiaires de faire ce foutu métier. Comme toi, ils gardent un souvenir indélébile de leur passage au Progrès de Bourg. « On a les noms » comme il disait encore…
Et toi, que deviens tu ? Au plaisir de te revoir si tu repasses par ici. Et merci pour tes mots.
Et bien je continue à m’accrocher dans le métiers en dépit des évolutions pas toujours à mon goût. Je suis journaliste version radio à Radiofrance. France bleu dans la Manche à Cherbourg… C’est loin de Verjon… mais c’est beau quand même ! Bonne continuation…